Après la marée noire dans la plaine de la Crau, en 2009, des fourmis ont été introduites dans les sols pour restaurer les écosystèmes du site pollué. Des premiers résultats prometteurs.
Par Thierry Dutoit, François Mesleard, Olivier Blight et Tania de Almeida, 27.09.2020
Extraits :
Messor barbarus, ingénieure des écosystèmes
"Pourquoi avoir choisi cette fourmi en particulier ? Des études d’écologie fondamentale menées dans les années 80 sur les mœurs de M. barbarus nous ont conduit à la considérer comme une potentielle espèce dite « ingénieur des écosystèmes », c’est-à-dire dont la simple présence ou activité a des conséquences majeures sur l’évolution de l’habitat qu’elle fréquente."
Une recolonisation réussie
"Dans le cas de la plaine de la Crau, nous avons récolté à l’automne 2011, des reines fondatrices, lors du vol nuptial au cours duquel elles sont fécondées. Elles se retrouvent ensuite au sol où elles s’arrachent les ailes puis creusent au plus vite une petite cavité afin d’y constituer progressivement une nouvelle fourmilière.
C’est à cette étape que nous les avons récupérées, sur le sol de la steppe voisine du site accidenté. Elles ont alors été transférées dans des tubes à essai contenant de la ouate humide puis 169 d’entre elles ont été réimplantées dès que possible sur le site à restaurer. De petites cavités ont été creusées à cet effet dans le sol afin d’y déposer chaque reine fondatrice.
Nous avons ensuite recouvert ces renfoncements d’un galet pour les protéger des prédateurs (oiseaux, scolopendres, araignées, autres fourmis) et pour y restituer la chaleur accumulée durant la journée. Six mois plus tard, plus de la moitié des reines avaient survécu et commencé à développer une colonie. Un réel succès, sachant que seule une reine fondatrice sur 1 000 parvient en moyenne à s’installer naturellement.
Cette réussite constitue une première étape indispensable pour valider l’opération. Il est toutefois essentiel que les fourmilières développées à partir de cette transplantation (ou d’une colonisation naturelle) aient finalement une action significative de restauration de la steppe qui préexistait avant l’accident.
Fertilité des sols, végétation et stocks de graines
C’est ce que nous avons démontré en 2018, sept années après la transplantation des reines fondatrices. Grâce à leur action de brassage du sol et d’incorporation de la matière organique, la fertilité des sols a été augmentée très significativement là où étaient présents des nids dans la zone restaurée.
Il en va de même pour la végétation car la biomasse, la composition et la richesse y sont plus proches de celles de la steppe avoisinante. Enfin, la réserve de graines viables dans le sol encore appelée « stock semencier » ou « banque de graines » y est aussi significativement plus riche, dense et proche de celle de la steppe que là où aucune fourmilière ne s’est développée.
Indéniablement, les insectes ont bien joué leur rôle attendu d’ingénieurs de l’écosystème en accélérant la restauration du sol et de la végétation pour les ramener vers ceux de la steppe qui préexistait avant l’accident."
- Harvester ants as ecological engineers for Mediterranean grassland restoration: Impacts on soil and vegetation - Biological Conservation, 15.04.2020 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0006320719319469
[Image] Récolte des reines, placées dans des tubes à essai contenant de la ouate humide.