Zika, virus de la famille des arbovirus, fait actuellement des ravages en Amérique Latine. Quelle est son histoire ? Et pourquoi a-t-il émergé à nouveau ?
Par Christophe Paupy, 02.02.2016
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L’épisode de Yap constitue un fait marquant car il donne lieu, outre l’évasion du virus en dehors de la zone Afrique-Asie, à la première documentation d’une épidémie de ZIKV, à la mise en évidence de sa réalité clinique et surtout de son potentiel épidémique. Les épidémies actuelles ou récentes permettent de le vérifier avec en outre, la description de graves complications.
Globalisation
Pour l’heure on explique mal les facteurs responsables du changement brutal de l’épidémiologie du ZIKV. Néanmoins on peut incriminer l’accélération de la globalisation de l’économie observée au cours des dernières décennies. Notamment, le changement d’échelle opéré dans le secteur des transports de biens et de personnes. L’augmentation du trafic aérien se traduit non seulement par l’augmentation du nombre de voyageurs porteurs du virus, mais également par la création de nouvelles connexions, offrant ainsi des opportunités quasi illimitées pour la dissémination rapide de virus (qui pourront être transmis à d’autres personnes au point d’arrivée si les porteurs de virus sont piqués par des moustiques compétents) y compris dans des lieux extrêmement isolés.
Par ailleurs le transport de marchandises aide à la diffusion des moustiques vecteurs, et à l’homogénéisation de leurs distributions géographiques comme c’est le cas pour Aedes albopictus, le moustique tigre présent aujourd’hui sur tous les continents en régions tropicales et tempérées, mais aussi pour son cousin Aedes aegypti présent dans toute la zone intertropicale.
Pour résumer, de nombreux territoires sont, du fait de la présence de l’une ou l’autre de ces espèces de moustiques, à risque en cas d’introduction du virus ZIKV. Il est tentant de faire le parallèle avec le virus Chikungunya, lui aussi découvert en Afrique, lui aussi transmis par des Aedes, qui a lui aussi connu une période de latence de plusieurs décennies en Afrique et en Asie, et qui a lui aussi finalement émergé durant la dernière décennie causant des épidémies explosives en différents points du globe et donnant lieu à la description de formes graves de la maladie.
Dans le grand village planétaire, les virus doivent sans cesse s’adapter aux conditions locales, notamment à la variabilité des hôtes humains ou des vecteurs. Ces changements intempestifs exercent une énorme pression sélective sur les virus et peuvent engendrer l’apparition de nouveaux variants doués d’une capacité de transmission accrue et responsables de nouvelles pathologies.
Les émergences de virus transmis par moustiques sont de plus en plus fréquentes (virus west-nile, fièvre de la vallée du rift, dengue, chikungunya, zika…) et de nouvelles sont attendues dans les prochaines années. Les zones tropicales et en particulier les forêts regorgent de nombreux virus qui pourraient quitter leurs niches forestières pour être transférés d’hôtes animaux réservoirs vers de nouveaux hôtes dont l’homme, puis diffusés à des échelles locales ou planétaires.
Ce risque est particulièrement grand dans les interfaces entre les environnements naturels et anthropisés. L’empreinte croissante de l’homme sur ces milieux rend l’hypothèse encore plus plausible. En Afrique Centrale par exemple, le moustique tigre est désormais présent en forêt où il pique l’homme et les animaux sauvages. On conçoit donc très bien qu’il pourrait faciliter des transferts de nouveaux virus vers l’homme. Plus que jamais il est crucial d’accentuer les efforts de recherche dans de telles interfaces, afin de comprendre les modalités et les risques d’émergences d’arbovirus zoonotiques, et de prévenir précocement leur diffusion.
Les arbovirus engagent avec nous une grande partie d’échecs : Ils ont pour eux la patience, nous la capacité d’anticipation."
[Image] Christophe Paupy, Entomologiste médical, Institut de recherche pour le développement (IRD)